A voir le produit fini, on se dit
qu’un tonneau n’est ni plus ni moins qu’un assemblage cerclé de pièces de bois.
Mais comme souvent, cette apparente simplicité masque une complexité
d’exécution
et un savoir-faire unique perpétués avec brio par la maison Vicard,
5ème tonnellerie mondiale et
dernière parmi les grandes à être
familiale.
A titre d'information, la première tonnellerie mondiale en termes de volumes produits est la tonnellerie François Frères en Bourgogne, groupe qui a grossi par croissance externe avec des rachats successifs d'autres tonnelleries.
Leur site de production de … est tout bonnement gigantesque. Il s’agit d’ailleurs du plus grand site de stockage de merrains d’un seul tenant au monde (8 hectares). A perte de vue, ce ne sont qu’empilages de bois qui donnent l’étrange sentiment de se trouver dans un jeu de construction géant.
Tout commence avec la matière
première. Après avoir été méticuleusement sélectionnés, les chênes âgés en
moyenne de 200 ans (français en grande majorité et plus marginalement
américains et européens) sont achetés au mieux disant lors de ventes aux
enchères organisées par l’Organisme National des Eaux et Forêts. Ils sont ensuite
débités en merrains, morceaux de bois qui constitueront l’ossature de la future
barrique (225 litres – modèle bordelais), pièce (228 litres – modèle
bourguignon) ou fût cognaçais (300 litres).
Cette étape, comme d’autres après elle, génère une importante perte de
matière première ce qui contribue à chaque fois à augmenter le coût de revient.
Ceci est l’un des facteurs explicatif du prix élevé des tonneaux (de 500€ à
800€ pièce selon, notamment, les qualités de bois utilisées).
Toutefois, les merrains ne
sauraient être utilisés immédiatement. En effet, le bois nécessite une période
de séchage afin de ne pas éclater lors de l’assemblage. Traditionnellement, comme
c’est encore le cas chez Vicard, la durée de séchage du bois est de trois ans à
l’air libre. D’où la différence de couleur entre un bois fraîchement entreposé (bois
clair à droite de la photo) et un bois ayant subi les assauts des éléments
naturels, en particulier la pluie (bois foncé à gauche de la photo).
Certains tonneliers, pour des raisons financières, accélèrent ce processus en aspergeant régulièrement le bois et en le faisant passer dans des étuves. Pour autant, les grands tonneliers s'y refusent car la qualité ainsi obtenue n'est jamais équivalente.
Une fois les merrains suffisamment secs, il est nécessaire de les façonner afin de leur donner une forme incurvée, indispensable pour pouvoir obtenir in fine l’aspect bombé du tonneau. Cette transformation s’accompagne d’un changement de nom : de merrains ils deviennent douelles.
Sur cette vue rapprochée, on
constate que le sens de découpe initial des merrains est toujours le même.
Celui-ci se fait dans le sens des nœuds médullaires (ce sont les traits plus
clairs et obliques) afin d’assurer tant une meilleure résistance qu’une
parfaite étanchéité.
Autre point d’intérêt sur ce plan
rapproché : le grain du bois. Il s’agit de la structure même du bois qui
va être plus ou moins serrée. On parle ainsi d’un grain fin, mi-fin ou gros
selon les espèces et les forêts dans lesquelles poussent les arbres. Ces
différences dépendent directement de la vitesse de croissance de l’arbre. Plus
elle sera lente, plus le grain sera fin.
Le choix du grain du bois pour l'élevage d'un vin ou d'un spiritueux s'avère décisif puisqu'il va avoir un impact direct sur le style du produit final. Un gros grain relâchera plus rapidement les tanins contenus dans le bois. A temps de vieillissement équivalent, un gros grain apportera donc un goût boisé plus prononcé. En outre, un gros grain présente une perméabilité plu importante. Les échanges entre le liquide et l'air à l'extérieur du tonneau sont donc plus importants. Ceci implique un processus d'oxydation et donc de vieillissement plus rapide.
Bien que traditionnel, le processus de fabrication d’un tonneau n’est pas exempt d’innovation. Ainsi de ces entailles à l’intérieur des douelles pratiquées par la tonnellerie Vicard afin de permettre à l’eau toujours contenue dans le bois (environ 12%) de s’échapper lors du processus de chauffe du fût (voir plus bas). Ceci évite l’apparition de cloques fragilisant le bois.
Arrive ensuite l’étape
d’assemblage des douelles entre elles afin de mettre en forme le tonneau. Comme
le montre la photo, un pré-assemblage permet de les disposer en forme
circulaire. Un ouvrier va venir ensuite passer un câble autour d’elles. Le
tonneau est alors enfermé dans un bain de vapeur qui va permettre d’assouplir
et de courber le bois, le câble se resserrant progressivement afin d’assurer la
jointure de l’ensemble des douelles.
L’automatisation de ce processus est propre à certaines tonnelleries. Certaines continuent de travailler à ce stade de manière traditionnelle en façonnant le tonneau manuellement. Son assouplissement progressif est dès lors obtenu en positionnant une flamme en son centre et en l’aspergeant d’eau à l’extérieur, comme ci-après à la tonnellerie Nadalié à Bordeaux.
Les tenants de la technique moderne arguent qu'elle permet d'éviter un pré-toastage du bois ce qui limite le développement non maîtrisé de certains arômes.
Des cercles de métal permettent ensuite de maintenir l'ensemble des douelles entre elles. Ces cercles d'occasion seront remplacés en fin de processus de fabrication par des cercles neufs plus esthétiques.
Lorsque le tonneau a été assemblé et maintenu par un cerclage temporaire intervient une étape délicate : la chauffe. Le tonneau est placé au-dessus d’un foyer (photo de gauche), ce dernier n’étant pas directement au contact du bois. Le feu est enchâssé dans un cœur de fonte qui rayonnera de manière homogène et assurera ainsi le même niveau de « cuisson » pour tout l’intérieur du tonneau. Dans la même optique, le tonneau est isolé au cours de la période de chauffe dans une gangue de métal (photo de droite).
L’intérieur d’un tonneau ayant subi une chauffe moyenne homogène comme en témoigne la coloration. Ce résultat est obtenu après un passage au chaud d’environ une heure.
Evidemment, le tonneau doit disposer d’une bonde qui permettra de le remplir, de le mettre à niveau (il s’agit du ouillage) ou de le vider. Cette opération est gérée par une machine.
Beaucoup d’étapes déjà mais un processus de production encore loin d’être fini. Le tonneau doit désormais être fermé. Afin de disposer le couvercle et le fond, une machine taille des rigoles aux deux extrémités. Se pose alors le problème de l’étanchéité des jointures qui est résolu de manière tout à fait surprenante à l’aide de farine (le joint apparaît bien en haut du tonneau sur la photo).
Le processus qualité est drastique, chaque tonneau faisant l’objet d’une vérification quant à sa parfaite étanchéité. A cet effet, chacun d’eux est rempli d’eau. Si l’on constate la moindre fuite, il est encore possible de changer la douelle défectueuse.
En l’état, les tonneaux sont quasiment achevés, ne reste plus que quelques opérations d’embellissement.
En fin de chaîne de fabrication, les tonneaux ont encore un aspect brut. Il est indispensable, pour pouvoir les commercialiser, de les poncer afin que le bois présente un aspect totalement neuf.
Les tonneaux ont désormais été poncés et parés de cerclages neufs qui seront définitifs. A cet instant, ils sont tous identiques mais encore anonymes.
C’est donc là qu’intervient le marquage de chaque tonneau au laser. Alors qu'un laser rouge permet de correctement positionner le tonneau, différents lasers excessivement précis et puissants vont venir brûler le bois en surface afin d’en marquer la provenance. Ce processus est très rapide, à peine quelques secondes. Les lasers marquent dans un premier temps le contour de l’inscription avant d’en assurer le remplissage. Sur la photo, la partie droite de l’inscription a été réalisée, les quatre lasers étant en train de terminer l’opération vers la gauche.
A ce stade, chaque client a la possibilité de personnaliser les inscriptions qui apparaîtront. Une option payante évidemment qui viendra augmenter encore un peu le prix du tonneau.
Enfin, le tonneau est conditionné, prêt à être expédié aux quatre coins du monde. Et comme pour tout objet manufacturé, les tonneaux sont livrés avec un mode d’emploi. Comme on le voit sur cette photo, tout tonneau transporté par container devra nécessairement être rempli d’eau avant utilisation afin de redonner au bois la forme exacte qui lui a été donnée initialement par la tonnellerie (la chaleur pendant le transport pouvant déformer légèrement le bois).