lundi 24 février 2014

Du chêne au tonneau

A voir le produit fini, on se dit qu’un tonneau n’est ni plus ni moins qu’un assemblage cerclé de pièces de bois. Mais comme souvent, cette apparente simplicité masque une complexité d’exécution
et un savoir-faire unique perpétués avec brio par la maison Vicard, 5ème tonnellerie mondiale et
dernière parmi les grandes à être familiale.
A titre d'information, la première tonnellerie mondiale en termes de volumes produits est la tonnellerie François Frères en Bourgogne, groupe qui a grossi par croissance externe avec des rachats successifs d'autres tonnelleries.

Tonnellerie Vicard fabrication tonneau

Leur site de production de … est tout bonnement gigantesque. Il s’agit d’ailleurs du plus grand site de stockage de merrains d’un seul tenant au monde (8 hectares). A perte de vue, ce ne sont qu’empilages de bois qui donnent l’étrange sentiment de se trouver dans un jeu de construction géant.

Tonnellerie Vicard fabrication tonneau

Tout commence avec la matière première. Après avoir été méticuleusement sélectionnés, les chênes âgés en moyenne de 200 ans (français en grande majorité et plus marginalement américains et européens) sont achetés au mieux disant lors de ventes aux enchères organisées par l’Organisme National des Eaux et Forêts. Ils sont ensuite débités en merrains, morceaux de bois qui constitueront l’ossature de la future barrique (225 litres – modèle bordelais), pièce (228 litres – modèle bourguignon) ou fût cognaçais (300 litres).  Cette étape, comme d’autres après elle, génère une importante perte de matière première ce qui contribue à chaque fois à augmenter le coût de revient. Ceci est l’un des facteurs explicatif du prix élevé des tonneaux (de 500€ à 800€ pièce selon, notamment, les qualités de bois utilisées).

Toutefois, les merrains ne sauraient être utilisés immédiatement. En effet, le bois nécessite une période de séchage afin de ne pas éclater lors de l’assemblage. Traditionnellement, comme c’est encore le cas chez Vicard, la durée de séchage du bois est de trois ans à l’air libre. D’où la différence de couleur entre un bois fraîchement entreposé (bois clair à droite de la photo) et un bois ayant subi les assauts des éléments naturels, en particulier la pluie (bois foncé à gauche de la photo).

Certains tonneliers, pour des raisons financières, accélèrent ce processus en aspergeant régulièrement le bois et en le faisant passer dans des étuves. Pour autant, les grands tonneliers s'y refusent car la qualité ainsi obtenue n'est jamais équivalente.

Tonnellerie Vicard fabrication tonneau

Une fois les merrains suffisamment secs, il est nécessaire de les façonner afin de leur donner une forme incurvée, indispensable pour pouvoir obtenir in fine l’aspect bombé du tonneau. Cette transformation s’accompagne d’un changement de nom : de merrains ils deviennent douelles.

Tonnellerie Vicard douelles

Sur cette vue rapprochée, on constate que le sens de découpe initial des merrains est toujours le même. Celui-ci se fait dans le sens des nœuds médullaires (ce sont les traits plus clairs et obliques) afin d’assurer tant une meilleure résistance qu’une parfaite étanchéité.

Autre point d’intérêt sur ce plan rapproché : le grain du bois. Il s’agit de la structure même du bois qui va être plus ou moins serrée. On parle ainsi d’un grain fin, mi-fin ou gros selon les espèces et les forêts dans lesquelles poussent les arbres. Ces différences dépendent directement de la vitesse de croissance de l’arbre. Plus elle sera lente, plus le grain sera fin.

Le choix du grain du bois pour l'élevage d'un vin ou d'un spiritueux s'avère décisif puisqu'il va avoir un impact direct sur le style du produit final. Un gros grain relâchera plus rapidement les tanins contenus dans le bois. A temps de vieillissement équivalent, un gros grain apportera donc un goût boisé plus prononcé. En outre, un gros grain présente une perméabilité plu importante. Les échanges entre le liquide et l'air à l'extérieur du tonneau sont donc plus importants. Ceci implique un processus d'oxydation et donc de vieillissement plus rapide.

Tonnellerie Vicard douelle

Bien que traditionnel, le processus de fabrication d’un tonneau n’est pas exempt d’innovation. Ainsi de ces entailles à l’intérieur des douelles pratiquées par la tonnellerie Vicard afin de permettre à l’eau toujours contenue dans le bois (environ 12%) de s’échapper lors du processus de chauffe du fût (voir plus bas). Ceci évite l’apparition de cloques fragilisant le bois.


Arrive ensuite l’étape d’assemblage des douelles entre elles afin de mettre en forme le tonneau. Comme le montre la photo, un pré-assemblage permet de les disposer en forme circulaire. Un ouvrier va venir ensuite passer un câble autour d’elles. Le tonneau est alors enfermé dans un bain de vapeur qui va permettre d’assouplir et de courber le bois, le câble se resserrant progressivement afin d’assurer la jointure de l’ensemble des douelles.

L’automatisation de ce processus est propre à certaines tonnelleries. Certaines continuent de travailler à ce stade de manière traditionnelle en façonnant le tonneau manuellement. Son assouplissement progressif est dès lors obtenu en positionnant une flamme en son centre et en l’aspergeant d’eau à l’extérieur, comme ci-après à la tonnellerie Nadalié à Bordeaux.

Assemblage tonneau tonnellerie NadaliéAssemblage tonneau tonnellerie Nadalié

Les tenants de la technique moderne arguent qu'elle permet d'éviter un pré-toastage du bois ce qui limite le développement non maîtrisé de certains arômes.


Des cercles de métal permettent ensuite de maintenir l'ensemble des douelles entre elles. Ces cercles d'occasion seront remplacés en fin de processus de fabrication par des cercles neufs plus esthétiques.

Tonnellerie Vicard chauffe tonneau

Lorsque le tonneau a été assemblé et maintenu par un cerclage temporaire intervient une étape délicate : la chauffe. Le tonneau est placé au-dessus d’un foyer  (photo de gauche), ce dernier n’étant pas directement au contact du bois. Le feu est enchâssé dans un cœur de fonte qui rayonnera de manière homogène et assurera ainsi le même niveau de « cuisson » pour tout l’intérieur du tonneau. Dans la même optique, le tonneau est isolé au cours de la période de chauffe dans une gangue de métal (photo de droite).

chauffe tonneau Vicard

L’intérieur d’un tonneau ayant subi une chauffe moyenne homogène comme en témoigne la coloration. Ce résultat est obtenu après un passage au chaud d’environ une heure.


Evidemment, le tonneau doit disposer d’une bonde qui permettra de le remplir, de le mettre à niveau (il s’agit du ouillage) ou de le vider. Cette opération est gérée par une machine. 

Tonnellerie Vicard fabrication tonneau

Beaucoup d’étapes déjà mais un processus de production encore loin d’être fini. Le tonneau doit désormais être fermé. Afin de disposer le couvercle et le fond, une machine taille des rigoles aux deux extrémités. Se pose alors le problème de l’étanchéité des jointures qui est résolu de manière tout à fait surprenante à l’aide de farine (le joint apparaît bien en haut du tonneau sur la photo).

Tonnellerie Vicard fabrication tonneau

Le processus qualité est drastique, chaque tonneau faisant l’objet d’une vérification quant à sa parfaite étanchéité. A cet effet, chacun d’eux est rempli d’eau. Si l’on constate la moindre fuite, il est encore possible de changer la douelle défectueuse.

Tonnellerie Vicard fabrication tonneau

En l’état, les tonneaux sont quasiment achevés, ne reste plus que quelques opérations d’embellissement.

Assemblage tonneau tonnellerie vicard

En fin de chaîne de fabrication, les tonneaux ont encore un aspect brut. Il est indispensable, pour pouvoir les commercialiser, de les poncer afin que le bois présente un aspect totalement neuf. 

Tonnellerie Vicard fabrication tonneau

Les tonneaux ont désormais été poncés et parés de cerclages neufs qui seront définitifs. A cet instant, ils sont tous identiques mais encore anonymes.

Assemblage tonneau tonnellerie vicard

C’est donc là qu’intervient le marquage de chaque tonneau au laser. Alors qu'un laser rouge permet de correctement positionner le tonneau, différents lasers excessivement précis et puissants vont venir brûler le bois en surface afin d’en marquer la provenance. Ce processus est très rapide, à peine quelques secondes. Les lasers marquent dans un premier temps le contour de l’inscription avant d’en assurer le remplissage. Sur la photo, la partie droite de l’inscription a été réalisée, les quatre lasers étant en train de terminer l’opération vers la gauche.

A ce stade, chaque client a la possibilité de personnaliser les inscriptions qui apparaîtront. Une option payante évidemment qui viendra augmenter encore un peu le prix du tonneau.

Assemblage tonneau tonnellerie vicard

Enfin, le tonneau est conditionné, prêt à être expédié aux quatre coins du monde. Et comme pour tout objet manufacturé, les tonneaux sont livrés avec un mode d’emploi. Comme on le voit sur cette photo, tout tonneau transporté par container devra nécessairement être rempli d’eau avant utilisation afin de redonner au bois la forme exacte qui lui a été donnée initialement par la tonnellerie (la chaleur pendant le transport pouvant déformer légèrement le bois).

Une fois livrés, les tonneaux seront utilisés plusieurs années. Certains producteurs de vin ne les garderont qu'un an afin de transmettre un goût boisé maximal au vin (les tonneaux sont alors revendus à d'autres producteurs). D'autres les conserveront en revanche plus longtemps (cinq ou six ans, voire plus parfois) afin de limiter cet apport boisé au vin. La tendance actuelle est à un retour à un boisé plus délicat dans le vin, les vins dits parkerisés (forte extraction, boisé très présent) n'étant plus aussi demandés.

lundi 10 février 2014

Rogneuse + cuve + érafloir = SITEVI


SITEVI 2013 Montpellier

SITEVI... Encore un obscur acronyme me direz vous ? Gagné. Car il s'agit du Salon International pour les filières vigne-vin, fruits-légumes et oléiculture. Rien que ça ! En somme, un salon professionnel se tenant au parc des expositions de Montpellier destiné à présenter toutes les nouveautés en termes d'équipements techniques avec une prédominance pour la filière viticole.
L'occasion de découvrir de bien belles choses.

SITEVI 2013 MontpellierSITEVI 2013 Montpellier
Ce qu'il y a de bien au SITEVI, c'est que l'on peut être surpris à chaque stand. Entre un véhicule tout droit sorti de Mad Max (en réalité un semi-remorque dernier cri) et des réacteurs d'un avion supersonique (un érafloir permettant de séparer les grains de raisin des rafles avant la fermentation alcoolique), on se croirait davantage dans un film que sur un salon spécialisé vins.

SITEVI 2013 MontpellierSITEVI 2013 Montpellier
"Que de couleurs ! Que de couleurs" se serait certainement exclamé Mac Mahon en découvrant ces matières sèches (c'est-à-dire tous les éléments hors vin) dernier cri. Il faut dire que ces bouteilles phosphorescentes, idéales en boîte de nuit, et ces bouchons multicolores ont le mérite de dépoussiérer l'image parfois vieillissante du vin. Reste à savoir si les consommateurs pourraient être séduits. 

SITEVI 2013 Montpellier

Et puis il y a les cuves. Encore des cuves. Toujours des cuves. Des cuves de toutes tailles et de toutes formes. Des octogonales, des ovales, des rondes, des grandes, des petites, des matériaux divers et variés. Le paradis des cuvophiles (mot inconnu dans le petit Larousse mais qui mériterait certainement d'y être) !

SITEVI 2013 Montpellier

Et voici la fameuse cuve ovale, parfaite pour permettre une bonne remise en suspension des lies dans le vin. Ces particules permettent, notamment dans le vin blanc, d'apporter de la matière (du "gras") lorsqu'elles sont régulièrement remuées. Cette cuve évite de faire cette opération manuellement (le bâtonnage), la force d'attraction de la lune induisant à elle seule ce mouvement à l'intérieur du contenant.

SITEVI 2013 Montpellier

Enfin, de bien belles machines qui ressemblent étrangement à des carburateurs géants. Ce sont en fait des filtres tangentiels qui sont de plus en plus utilisés, en dépit de leur prix. Ceux-ci permettent de filtrer presque tous les types de vins, avec une turbidité finale très faible (c'est-à-dire que les vins sont presque totalement limpides). 

Plus généralement, les filtrations sont très répandues car elles permettent de stabiliser les vins avant leur mise en bouteille. Certains y sont pourtant opposés (mention "ni collé ni filtré" sur certaines étiquettes), arguant qu'elle retire aux vins une partie de sa structure notamment aromatique. 

En la matière, pas de dogme. Disons qu'il est possible de produire de grands vins filtrés ou non, tout dépend du niveau de risque que le vigneron est prêt à assumer. Les consommateurs ne souhaitent pas forcément avoir des vins déviant légèrement de leur aspect habituel, notamment en termes de couleur. 



lundi 3 février 2014

L'esprit des Côtes du Rhône méridionales

Côtes du Rhône méridionales conduite en lyre

Il flotte dans les côtes du Rhône sméridionales comme un esprit particulier. On trouve dans ces terres relativement arides des éléments surprenants. A l’image de ces structures en V qui surprennent de prime abord. Ce ne sont pourtant que des tuteurs permettant la conduite de la vigne en lyre. Ce type de conduite a été mise au point à Sup’Agro Montpellier par le brillant professeur de viticulteur, M. Carbonneau.  Cette architecture optimise le sacro-saint rapport hauteur (du feuillage) / espacement (entre les rangs de vigne), essentiel pour assurer une bonne maturation des raisins.

Côtes du Rhône Viret cosmoculture

Mais le sud de la vallée du Rhône, ce sont aussi de vrais personnages aux projets pour le moins atypiques. L’exemple le plus frappant est celui du domaine Viret, chantre puisqu’inventeur de la notion de cosmoculture. Approche très particulière du vin fondée sur une mise en exergue des différentes forces de la nature dans tout le processus de fabrication du vin, élevant ce dernier au rang de produit sacré. D’où la construction de cette véritable cathédrale pour son élevage, permettant aux énergies de s’exprimer pleinement.

Côtes du Rhône Viret cosmoculture amphores

Dans cette même optique, une part importante du vin produit au domaine est élevée dans des amphores produites de manière totalement artisanale. Les exemples d’élevage du vin dans ce contenant ne manquent pas à travers le monde. Mais chez Viret, à la différence de nombre de ses confères, il ne s’agit pas d’un simple essai - disons - folklorique. C’est en effet ici un élément central de l’élaboration des vins. L’intérêt des amphores repose dans le fait que la terre cuite, poreuse, autorise des échanges beaucoup plus importants entre le vin et l’air que dans un  tonneau classique (trois fois plus au dire de René Barbier du Clos Mogador dans le Priorat en Espagne).

Côtes du Rhône Gramenon

Mais saisir l’esprit des côtes du Rhône méridionales nécessite aussi de sortir pour tenter d’appréhender un milieu d’une beauté incroyable. En témoigne le domaine Gramenon, l'un des symboles des vins natures, qui se situe entre montagnes  et oliviers.

Côtes du Rhône Gramenon

L’arrivée au domaine par un (très) froid matin de décembre est un spectacle tout bonnement magique. L’impression d’être seul au monde dans un paysage grandiose où la nature semble pouvoir pleinement s’exprimer.

Côtes du Rhône Gramenon pieds centenaires

Une ballade dans les vignes permet de se trouver face à des pieds centenaires de grenache d’une beauté saisissante. Parler ici de vieilles vignes prend tout son sens, à l’inverse de nombreux domaines pour qui des vignes de vingt ans sont déjà vieilles... Disons que ceux-ci ont parfaitement saisi le potentiel marketing de ce terme dont l’utilisation ne fait l’objet d’aucune réglementation.

Ces vieilles vignes sont ici l'une des expressions du respect du vivant que prône le domaine via une approche biologique mise en oeuvre depuis sa création en 1979.

Côtes du Rhône Gramenon michèle aubery-laurent

Et ce domaine a bien une âme particulière, insufflée avec brio par Mme Aubéry-Laurent. Son immense courage l’a conduite à continuer l’œuvre de son mari prématurément décédé alors qu’elle n’était pas du milieu viticole. Simple mais passionnée et animée par de profondes convictions quant au bien-fondé de son approche, elle fait preuve d’une énergie communicative. Et ses vins sont touchants de sincérité, dénués d’artifices. Un domaine à découvrir.

Suze-la-Rousse université du vin

Après l’âme des vieilles vignes, celui des vieilles pierres. Direction le Vaucluse, à Suze-la-Rousse, où l’université du vin s’est tout simplement installée dans le splendide château du village qui domine toute la région. Etudier ici permet d’avoir un lien avec l’histoire et les traditions de la région et de certainement mieux appréhender le rapport ancien qu'on ici les hommes avec la vigne.

Château de Beaucastel galets roulés

A l’image du vignoble de Châteauneuf-du-pape, des vignes sont plantées dans la région depuis des siècles. La qualité des terroirs a en effet été identifiée très tôt. Il faut dire que les vignes bénéficient ici de véritables alliés : les galets roulés que l’on distingue au premier plan. Ceux-ci ont été charriés par le Rhône pendant des années, leur donnant leur forme ronde caractéristique. Le Rhône s’est ensuite retiré mais les galets sont restés, permettant d’emmagasiner la chaleur pendant la journée et de la restituer la nuit. Ce processus permet d’assurer une maturation optimale des raisins. On le retrouve dans d’autres régions, notamment les Graves dans le bordelais dont le nom n’est rien d’autre que celui des galets roulés éponymes locaux.

Côtes du Rhône méridionales Mas de Libian

Après tout cela, on se doute bien que certaines dégustations ne sauraient être trop convenues. Ainsi du domaine du Mas de Libian où quelques palettes superposées ont permis d’improviser une jolie séance de dégustation. Et de trouver une nouvelle idée déco ?

Châteauneuf-du-pape Chante-cigale

Quoi qu’il en soit, si cette région semble avoir une âme, c’est certainement qu’elle doit avoir un protecteur quelque part, veillant sur ses vignes… et ses cuves ! Je vous laisse méditer.