A l'heure d'un pessimisme généralisé dans le pays, certains événements nous font dire que tout n'est peut-être pas terminé, qu'il existe encore des personnes pour qui la France sera rayonnante ou ne sera pas. A l'heure des bonnes nouvelles, donc, ce magnifique repas organisé il y a quelques jours par les frères Gardinier, propriétaires du Groupe Taillevent (restaurants Taillevent et le 110 à Paris, caves Taillevent également dans la capitale, hôtel restaurant les Crayères à Reims et château Phélan Ségur pour ne citer que les actif français de la Maison). Afin de célébrer une fois de plus la grande tradition française dans ce qu'elle a de plus dynamique et moderne, un déjeuner était organisé aux Crayères pour mettre à l'honneur celui qui de longues années durant fut le chef mythique du restaurant : Gérard Boyer. Et avec lui tous les jeunes passés par ses fourneaux et devenus grands à leur tour.
C'est sous sa houlette de Monsieur Boyer que cette vénérable (jeune) maison - la création des Crayères ne date que de 1983 - obtint son troisième macaron Michelin, graal gastronomique aujourd'hui parfois décrié mais toujours aussi jalousement convoité. Et à ses côtés, ce chef historique a fait éclore de très grands chefs dont la cuisine est inévitablement teintée de la patte du maître.
On reconnaîtra ainsi sur la photo de l'ensemble de la brigade prise au domaine, les enfants d'une famille unie par la passion de la belle cuisine, souriants car de retour auprès de leur père spirituel, au commencement de leur histoire : Alain Passart (trois macarons à l'Arpège, à Paris), Vincent Thierry (trois macarons au Caprice à Hong-Kong, Chine), Philippe Labbé (encore récemment deux macarons à l'Abeille, Paris) et Philippe Mille (actuel chef des cuisines des Crayères, auréolé de deux macarons). treize macarons Michelin réunis pour un repas nécessairement hors du commun.
Thème de ce déjeuner : Traditions françaises. Et un repas à 12 mains, chacun des chefs ainsi que le pâtissier maison ayant eu la tâche de créer ou de faire revivre un plat auquel serait associé une grande cuvée de champagne.
Pour commencer donc, des "langoustines royales en habit vert, beurre de champagne au caviar osciètre impérial" par Philippe Labbé. Fraîchement parti des cuisines de l'Abeille au Shangri-La à Paris, le chef montre une fois encore ici l'étendue de son talent avec un plat magnifiquement harmonieux. La chair ferme et délicate des langoustines s'associe parfaitement à la sauce légèrement acidulée. Le végétal apporte une dose de fondant supplémentaire et le tout est emporté dans une finale élégamment iodée. Une entrée en matière de très haut vol.
Le champagne choisi était la cuvée brut nature 2006 de chez Roederer dont Stark a signé l'étiquette. Un choix judicieux au vu de l'ampleur de cette cuvée qui avait suffisamment de répondant sur ce plat fin mais puissant.
Le second plat était quant à lui un passeport vers autre monde, quelque part dans les nues de la gastronomie. Les saveurs se firent plus incisives avec cette "lasagne de homard breton, contrepoint de girolles et noix de ris de eau, mouillée d'une bisque légère". Certainement l'un des deux plats hors catégorie de ce déjeuner. Homard et girolles se liaient délicieusement dans cette bisque toute automnale, concentrée juste ce qu'il fallait, les ris de veau apportant une mâche complémentaire et jouant l'association "terre" du plat dans une imparable finesse. L'émotion monta avec ce très grand plat signé Vincent Thierry dont l'éloignement hong-kongais n'aura a l'évidence fait qu'accentuer son amour pour les beaux produits ici magnifiés.
Quant au vin, un Billecart-Salmon 2004 blanc de blancs, il mettait un joli gras au service du plat qui venait l'enrober subtilement. Grand accord !
Philippe Mille a certainement le plat le plus original tout en y mettant un certain nombre de clins d'œil, chef résident des Crayères oblige. Tout d'abord, par les associations de goûts et de textures ici proposées. La cuisse de grenouille franchouillarde tenait ici la dragée haute à l'aristocrate truffe blanche transalpine. Mais ce furent aussi les quelques pommes soufflées, héritières de la plus belle tradition française, remises ici au goût du jour. Leur évanescence en bouche n'avait d'égal que la volupté de la blanquette de cèpes, véritable ossature du plat... et peut-être le seul bémol. Servie généreusement au fond de l 'assiette, elle s'avérait malheureusement quelque peu écœurante en fin de dégustation. Et le champagne servi en accompagnement ? Une belle surprise : un Charles Heidsick 1995 Blanc des Millénaires qui dévoilait toute son élégance ce qui en fit un très bon compagnon des arômes subtils du plat.
Lorsque l'on intitule un déjeuner "traditions françaises", on se doit de multiplier les symboles. Après le homard breton et les pommes soufflées, place fut faite à un magnifique turbot de plus de quatre kilos à la peau nacrée et merveilleusement dorée. Un prélude contemplatif ... réussissant le tour de force de nous faire saliver avec les yeux !
Une découpe en salle plus tard, la pièce de turbot se retrouvait associée à une "béarnaise au vin jaune" et à un "gratin dauphinois au céleri rave". La surprise vint évidemment du céleri-rave bien confit dont la pointe terreuse acidulée fut un ravissement pour les papilles. Un enthousiasme peut-être moindre pour le poisson qui, bien que parfaitement cuit, ne trouvait pas dans la sauce un contrepoint digne de sa noblesse. L'idée était osée, parfaitement exécutée, mais le résultat ne parvint pas à offrir la même dose d'émotion que certains des plats précédents. Pour autant, Alain Passard a proposé une option radicale dont chacune des saveurs a trouvé un écho parfait avec le Dom Pérignon P2 Plénitude Deuxième Blanc 1998. La Champagne dans ce qu'elle a de superlatif : extrêmement complexe, d'une finesse diabolique. Un champagne enivrant à la persistance phénoménale. Et curieusement, pour la première fois dans le repas, c'est le champagne qui donnait envie de revenir au plat. Par chance, car la seconde impression était tout autre. Les réticences initialement perçues sont tombées par la magie de l'accord met-vin ici réalisé.
Les quatre élèves s'étant exprimés, ne restait plus qu'à voir Le Chef entrer en scène. Dans un plat qui fut l'une de ses signatures, Gérard Boyer est parvenu à tout synthétiser : la haute cuisine française telle qu'elle a conquis le monde avec ses produits sublimes, ses feuilletages aériens, ses sauces uniques. Tout cela est beau, graphique, ce qui n'est pas un vain mot dans le monde designo-culinaire dans lequel nous évoluons. Et le résultat dépasse les espérances. Ce "feuilleté de pigeonneau au foie gras, émincé de choux, jus au fumet de truffes" s'est dévoilé tel un trésor. A peine la lame du couteau avait-elle pénétré cette gangue dorée que des effluves délicieux s'offrirent dans un tourbillon d'arômes. Tout était ici d'une légèreté insoupçonnable. La tendreté du pigeon répondait à la souplesse du foie gras; la sauce concentrée et truffée apportant le nécessaire coup de fouet vivifiant l'ensemble. Une claque magistrale pour moi, amoureux d'une certaine cuisine moderne et créative qui peine toutefois parfois à provoquer de grandes émotions. Et puis, une "grande année" 2004 de Bollinger qui jouait une partition écrite pour le plat, portée par cette fine oxydation caractéristique.
La magie d'un tel repas ne saurait être totalement dévoilée. Place à l'imaginaire donc pour les deux derniers services Point de photo mais une simple description, brève.
Le brie était ainsi "farci de fruits secs à la fève de tonka". Ou comment marier un crémeux tout francilien à des nuances d'Ailleurs. Le tout associé à un champagne au répondant idoine : un Nec Plus Ultra 1999 de Bruno Paillard.
Enfin, en apothéose, un "soufflé chaud praliné fruité, crème glacé au café torréfié". Une belle gourmandise signée Arthur Fèvre. Une douceur associée à un champagne Lanson 1990 vintage collection servi en magnum. Certainement l'accord le plus difficile à composer et qui, bien que tirant son épingle du jeu, ne parvenait pas réellement à convaincre. Ah, le sucre ! Si piégeur à l'égard des vins qui n'en sont pas assez dotés. Une fois encore, le dessert prenait ici le dessus sur le vin dont on ne pouvait que regretter de n'avoir pu le goûter seul tant il se montrait encore d'une insolente jeunesse.
Tous les nectars servis au cours de ce déjeuner furent tout bonnement exceptionnels. Les frères Gardinier sont viscéralement attachés à la tradition, aux traditions françaises. Quel plus bel hommage donc que cette ode à la gastronomie et au vin ? Celle-ci rappelle aux détracteurs d'une cuisine qui aurait raté le virage de la modernité que la cuisine française sait, encore et toujours, nous émouvoir et nous offrir, sans intellectualisation superflue, le plaisir du bon.
C'est sous sa houlette de Monsieur Boyer que cette vénérable (jeune) maison - la création des Crayères ne date que de 1983 - obtint son troisième macaron Michelin, graal gastronomique aujourd'hui parfois décrié mais toujours aussi jalousement convoité. Et à ses côtés, ce chef historique a fait éclore de très grands chefs dont la cuisine est inévitablement teintée de la patte du maître.
On reconnaîtra ainsi sur la photo de l'ensemble de la brigade prise au domaine, les enfants d'une famille unie par la passion de la belle cuisine, souriants car de retour auprès de leur père spirituel, au commencement de leur histoire : Alain Passart (trois macarons à l'Arpège, à Paris), Vincent Thierry (trois macarons au Caprice à Hong-Kong, Chine), Philippe Labbé (encore récemment deux macarons à l'Abeille, Paris) et Philippe Mille (actuel chef des cuisines des Crayères, auréolé de deux macarons). treize macarons Michelin réunis pour un repas nécessairement hors du commun.
Thème de ce déjeuner : Traditions françaises. Et un repas à 12 mains, chacun des chefs ainsi que le pâtissier maison ayant eu la tâche de créer ou de faire revivre un plat auquel serait associé une grande cuvée de champagne.
Le champagne choisi était la cuvée brut nature 2006 de chez Roederer dont Stark a signé l'étiquette. Un choix judicieux au vu de l'ampleur de cette cuvée qui avait suffisamment de répondant sur ce plat fin mais puissant.
Le second plat était quant à lui un passeport vers autre monde, quelque part dans les nues de la gastronomie. Les saveurs se firent plus incisives avec cette "lasagne de homard breton, contrepoint de girolles et noix de ris de eau, mouillée d'une bisque légère". Certainement l'un des deux plats hors catégorie de ce déjeuner. Homard et girolles se liaient délicieusement dans cette bisque toute automnale, concentrée juste ce qu'il fallait, les ris de veau apportant une mâche complémentaire et jouant l'association "terre" du plat dans une imparable finesse. L'émotion monta avec ce très grand plat signé Vincent Thierry dont l'éloignement hong-kongais n'aura a l'évidence fait qu'accentuer son amour pour les beaux produits ici magnifiés.
Quant au vin, un Billecart-Salmon 2004 blanc de blancs, il mettait un joli gras au service du plat qui venait l'enrober subtilement. Grand accord !
Philippe Mille a certainement le plat le plus original tout en y mettant un certain nombre de clins d'œil, chef résident des Crayères oblige. Tout d'abord, par les associations de goûts et de textures ici proposées. La cuisse de grenouille franchouillarde tenait ici la dragée haute à l'aristocrate truffe blanche transalpine. Mais ce furent aussi les quelques pommes soufflées, héritières de la plus belle tradition française, remises ici au goût du jour. Leur évanescence en bouche n'avait d'égal que la volupté de la blanquette de cèpes, véritable ossature du plat... et peut-être le seul bémol. Servie généreusement au fond de l 'assiette, elle s'avérait malheureusement quelque peu écœurante en fin de dégustation. Et le champagne servi en accompagnement ? Une belle surprise : un Charles Heidsick 1995 Blanc des Millénaires qui dévoilait toute son élégance ce qui en fit un très bon compagnon des arômes subtils du plat.
Lorsque l'on intitule un déjeuner "traditions françaises", on se doit de multiplier les symboles. Après le homard breton et les pommes soufflées, place fut faite à un magnifique turbot de plus de quatre kilos à la peau nacrée et merveilleusement dorée. Un prélude contemplatif ... réussissant le tour de force de nous faire saliver avec les yeux !
Une découpe en salle plus tard, la pièce de turbot se retrouvait associée à une "béarnaise au vin jaune" et à un "gratin dauphinois au céleri rave". La surprise vint évidemment du céleri-rave bien confit dont la pointe terreuse acidulée fut un ravissement pour les papilles. Un enthousiasme peut-être moindre pour le poisson qui, bien que parfaitement cuit, ne trouvait pas dans la sauce un contrepoint digne de sa noblesse. L'idée était osée, parfaitement exécutée, mais le résultat ne parvint pas à offrir la même dose d'émotion que certains des plats précédents. Pour autant, Alain Passard a proposé une option radicale dont chacune des saveurs a trouvé un écho parfait avec le Dom Pérignon P2 Plénitude Deuxième Blanc 1998. La Champagne dans ce qu'elle a de superlatif : extrêmement complexe, d'une finesse diabolique. Un champagne enivrant à la persistance phénoménale. Et curieusement, pour la première fois dans le repas, c'est le champagne qui donnait envie de revenir au plat. Par chance, car la seconde impression était tout autre. Les réticences initialement perçues sont tombées par la magie de l'accord met-vin ici réalisé.
Les quatre élèves s'étant exprimés, ne restait plus qu'à voir Le Chef entrer en scène. Dans un plat qui fut l'une de ses signatures, Gérard Boyer est parvenu à tout synthétiser : la haute cuisine française telle qu'elle a conquis le monde avec ses produits sublimes, ses feuilletages aériens, ses sauces uniques. Tout cela est beau, graphique, ce qui n'est pas un vain mot dans le monde designo-culinaire dans lequel nous évoluons. Et le résultat dépasse les espérances. Ce "feuilleté de pigeonneau au foie gras, émincé de choux, jus au fumet de truffes" s'est dévoilé tel un trésor. A peine la lame du couteau avait-elle pénétré cette gangue dorée que des effluves délicieux s'offrirent dans un tourbillon d'arômes. Tout était ici d'une légèreté insoupçonnable. La tendreté du pigeon répondait à la souplesse du foie gras; la sauce concentrée et truffée apportant le nécessaire coup de fouet vivifiant l'ensemble. Une claque magistrale pour moi, amoureux d'une certaine cuisine moderne et créative qui peine toutefois parfois à provoquer de grandes émotions. Et puis, une "grande année" 2004 de Bollinger qui jouait une partition écrite pour le plat, portée par cette fine oxydation caractéristique.
La magie d'un tel repas ne saurait être totalement dévoilée. Place à l'imaginaire donc pour les deux derniers services Point de photo mais une simple description, brève.
Le brie était ainsi "farci de fruits secs à la fève de tonka". Ou comment marier un crémeux tout francilien à des nuances d'Ailleurs. Le tout associé à un champagne au répondant idoine : un Nec Plus Ultra 1999 de Bruno Paillard.
Enfin, en apothéose, un "soufflé chaud praliné fruité, crème glacé au café torréfié". Une belle gourmandise signée Arthur Fèvre. Une douceur associée à un champagne Lanson 1990 vintage collection servi en magnum. Certainement l'accord le plus difficile à composer et qui, bien que tirant son épingle du jeu, ne parvenait pas réellement à convaincre. Ah, le sucre ! Si piégeur à l'égard des vins qui n'en sont pas assez dotés. Une fois encore, le dessert prenait ici le dessus sur le vin dont on ne pouvait que regretter de n'avoir pu le goûter seul tant il se montrait encore d'une insolente jeunesse.
Tous les nectars servis au cours de ce déjeuner furent tout bonnement exceptionnels. Les frères Gardinier sont viscéralement attachés à la tradition, aux traditions françaises. Quel plus bel hommage donc que cette ode à la gastronomie et au vin ? Celle-ci rappelle aux détracteurs d'une cuisine qui aurait raté le virage de la modernité que la cuisine française sait, encore et toujours, nous émouvoir et nous offrir, sans intellectualisation superflue, le plaisir du bon.
Quel dommage que nous n'ayons pu participer à ces agapes. L'eau nous vient à la bouche rien qu'en voyant ces quelques photos et leurs commentaires !
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