mardi 28 octobre 2014

Match de raviolis sino-coréen. Victoire (écrasante) de la Corée !

Comme tout un chacun, j'ai parfois des envies culinaires spécifiques que je souhaite assouvir de la meilleure des manières. En l'occurrence, la dernière en date était une envie irrépressible de raviolis asiatiques. Difficile de savoir où aller parmi les dizaines voire centaines de possibilités d'établissements à Paris. Je me suis donc (évidemment) tourné vers ce cher Google. Une recherche plus tard et des dizaines de sites épluchés, deux adresses me semblaient dignes d'intérêt notamment pour leur rapport qualité-prix tant loué : le restaurant "raviolis du Nord-Est de la Chine" à Belleville et le "MandooBar" près de Saint-Lazare. Un match sino-coréen, et sans se ruiner. C'est parfait !

Direction tout d'abord le très chinois 10ème arrondissement de Paris à la recherche de mon graal du moment. Arrivé rue Civiale, la micro-devanture est fidèle à ce que je m'étais imaginé : quelconque et impersonnelle, ouvrant sur une salle non moins quelconque et... impersonnelle. Pourtant, les quelques personnes faisant la queue devant l'établissement me font dire que je suis à la bonne adresse, et certainement pas le seul à avoir suivi les conseils de cybergastronomes avisés.

Un bon point : l'attente n'est que de cinq minutes. Ici, ça dépote et c'est tant mieux. A peine installé, le choix est fait parmi la carte presque entièrement dédiée au dit ravioli (une dizaine de sortes) : ce seront des raviolis porc/ciboulette/crevettes et des raviolis poulet/chou/champignons. A la question : vapeur ou grillé, je réponds évidemment vapeur pour pouvoir pleinement apprécier la qualité de la pâte et de la farce, en évitant d'avoir la bouche saturée de gras.

Raviolis nord est chine rue civiale

Rapidement, voici les deux assiettes de dix raviolis sur la table (5€ chacune - prix vraiment imbattable). A première vue, ils ne sont pas plus engageants que ça, avec leur pâte qui semble bien épaisse. Mais point de jugement hâtif. Je goûte et suis pourtant immédiatement saisi par la lourdeur du ravioli. La pâte prend effectivement totalement le dessus sur l'ensemble si bien que la farce ne joue qu'un rôle secondaire. Ce qui n'est finalement pas si grave car sans être mauvaise, elle n'a pas de véritable intérêt. Les saveurs sont très (très) discrètes. Je ne sens par exemple pas du tout la crevette et le poulet pourrait être du porc ou du veau que je ne verrais pas la différence.

Raviolis nord est chine rue civiale

Alors oui, on peut s'extasier sur le fait que ce n'est pas cher (et c'est vrai), mais de là à dire que les raviolis sont exceptionnels, il faut savoir raison garder. On ne vient pas ici pour manger quelque chose d'intéressant mais quelque chose de roboratif. Ça se mange, voilà tout. Et ce n'est pas une question de prix car une pâte fine ne coûte pas plus chère qu'une pâte épaisse... Donc pour résumer, si on veut manger pour pas cher, que l'on est à Belleville et que l'on passe devant ce restaurant de "raviolis du Nord-Est de la Chine", alors on ira y manger. Sinon, aucun intérêt à y aller spécialement.

Un peu déçu par cette expérience, je décide donc quelques jours plus tard d'aller tester ma seconde adresse et de passer du côté coréen de la force.

mandoobar paris excellents raviolis

Là, en revanche, l'improvisation n'est pas de mise. Sans réservation, impossible de manger dans ce micro-établissement qui accepte 12 convives. Réservation faite, me voici donc dans cet écrin avec l'impression d'avoir pris un virage à 180 degrés par rapport au premier lieu. C'est petit également, mais tellement élégant avec une unique table comptoir en U et le chef officiant au milieu, devant les hôtes. La décoration est sobre mais respire une certaine quiétude. On se sent tout de suite bien et la convivialité est immédiate, compte tenu de la configuration de la salle.

Côté raviolis, le choix est beaucoup moins large ici, avec seulement deux options : les raviolis à la viande et ceux aux légumes. Le choix est immédiat : deux paniers de huit raviolis de chaque afin de pouvoir comparer correctement les deux établissements. En termes de prix, le budget est à peine plus élevé puisque ces huit pièces reviennent à 8€. En revanche, l'expérience, elle, est à mille lieues de la première.

mandoobar paris excellents raviolis

A l'arrivée des paniers vapeur, les parfums titillent immédiatement mes narines. Les raviolis sont en outre très beaux, luisantes demi-lunes dont la finesse de la pâte laisse entrevoir une farce généreuse. Tout cela appelle laisse augurer de bien belles choses, d'autant que l'on a hâte de tremper ces mandoo (les raviolis éponymes du restaurant) dans une sauce soja (goûteuse) relevée d'une pointe d'huile de sésame. Eh bien, l'expérience de dégustation est à la hauteur de la promesse initiale. Les raviolis sont extrêmement fondants, délicats, j'ose le terme de soyeux. Et les saveurs de la farce sont explosives en bouche. Le chef nous explique que la viande est un mélange de porc et de bœuf marinés longuement avec de la ciboulette. Quant aux légumes, on y retrouve notamment des algues, du poireau et du tofu.

mandoobar paris excellents raviolis

Voilà enfin le Graal trouvé ! Tout y est. Le décor apaisant, la gentillesse et le professionnalisme du chef, le spectacle de la préparation, le prix défiant tout concurrence pour ce niveau de qualité. Une victoire par KO face à l'adversaire chinois qui fait bien pâle figure... Et là encore, on ne se ruine pas. La différence, c'est qu'on passe ici un moment absolument magique, un voyage pour seulement trois euros de plus. Si vous aimez les raviolis asiatiques, n'hésitez donc pas à sortir du sempiternel dim-sum chinois et à vous laisser séduire par leurs diaboliques cousins coréens exécutés à merveille dans cette cachette du 8ème arrondissement de Paris (à redécouvrir aussi pour les autres plats proposés dont un tartare de bœuf à la tendreté et au goût phénoménaux).

Raviolis du nord-est de la Chine
11 rue Civiale
75010 Paris
01 75 50 88 03

Mandoobar
7 rue d'Edimbourg
75008 Paris
01 55 06 08 53

mercredi 22 octobre 2014

C'est la crise, mangez des galettes !

Bon, nous avons tous connu la fin de journée, fatigué par des heures interminables passées au bureau, et la question que l'on préfèrerait ne pas se poser : que mange-t-on ce soir ? Là où l'équation se complique, c'est qu'il faut souvent ajouter quelques critères : ce serait bien de manger vite (car on est affamé), si possible quelque chose de bon qui pourrait pourquoi pas être facilement partagé avec les amis que l'on était sur le point d'appeler pour éviter de déprimer. Et bien sûr, que tout cela soit abordable. Eh bien, la solution est bretonne, j'ai nommé "la galette de blé noir".

Galette blé noir jean-michel brouard
 
Pas besoin d'avoir eu une grand-mère bigoudène pour connaître le secret des galettes de blé noir (ou sarrasin). On ne peut guère faire plus simple : trois ingrédients que sont la farine de sarrasin (160 grammes), un œuf et de l'eau (37cl). il suffit de mettre tous les ingrédients dans un saladier et de mélanger, en ajoutant in fine 5g de gros sel. On obtient ainsi une belle pâte lisse (permettant de faire 5 galettes) qu'il n'est même pas besoin de faire reposer. Parfait, on avait très faim... 

Galette blé noir jean-michel brouard
 
Vient alors l'instant critique : la cuisson de la galette. La poêle doit être très chaude. Après l'avoir bien beurrée, il ne reste plus qu'à y mettre une louche de pâte que l'on répartit sur toute la surface. Ca fume, ça fait plein de petites bulles à la surface de la pâte. Bref, tout cela prend forme. Et en plus ça sent divinement bon. Que demande le peuple !

Galette blé noir jean-michel brouard

Une fois que la galette a été retournée (elle se décolle toute seule quand elle est suffisamment cuite), il ne reste plus qu'à la garnir. Autant le dire tout de suite, j'ai joué le grand classique qui fait toujours son effet : la quasi-complète (euh oui, j'avais oublié le gruyère). Donc du bon jambon à l'os et un œuf de ferme cassé dessus plus tard, les babines sont en plein émoi. Dur dur d'attendre la fin de la cuisson de l'œuf.

Galette blé noir jean-michel brouard

S'ensuivent alors différentes possibilités de présentation : à commencer par la création contemporaine entre fauvisme et dripping. Bref, une explosion de couleurs et des parfums à émouvoir les plus blasés...

Galette blé noir jean-michel brouard
 
Ou alors vous la jouer en mode rien ne dépasse, histoire de maintenir le suspense jusqu'à la première bouchée. tout dépend de votre niveau de sadisme culinaire. Dans tous les cas, vous n'aurez pas oublié d'ouvrir une belle bouteille de bière d'abbaye comme cette St-Rieul ambrée qui, en plus de changer du traditionnel (et un peu convenu) cidre, vous permettra de faire un excellent accord et n'en rendra votre petit moment breton que plus fort.
 
Bien sûr, le principe de ce genre de plat est de permettre d'utiliser n'importe quel reste du frigo. Méfiez-vous donc restes de chèvre, de thon, de tomates, de légumes... vous pourriez bien finir engalettés !
 
Et le tout pour à peine plus de quelques euros ! Alors, elle n'a pas du bon la crise ?

mardi 14 octobre 2014

Gérard Boyer, très grand Monsieur de la cuisine française

A l'heure d'un pessimisme généralisé dans le pays, certains événements nous font dire que tout n'est peut-être pas terminé, qu'il existe encore des personnes pour qui la France sera rayonnante ou ne sera pas. A l'heure des bonnes nouvelles, donc, ce magnifique repas organisé il y a quelques jours par les frères Gardinier, propriétaires du Groupe Taillevent (restaurants Taillevent et le 110 à Paris, caves Taillevent également dans la capitale, hôtel restaurant les Crayères à Reims et château Phélan Ségur pour ne citer que les actif français de la Maison). Afin de célébrer une fois de plus la grande tradition française dans ce qu'elle a de plus dynamique et moderne, un déjeuner était organisé aux Crayères pour mettre à l'honneur celui qui de longues années durant fut le chef mythique du restaurant : Gérard Boyer. Et avec lui tous les jeunes passés par ses fourneaux et devenus grands à leur tour.

Brigade les Crayères gardinier traditions passard boyer thierry


C'est sous sa houlette de Monsieur Boyer que cette vénérable (jeune) maison - la création des Crayères ne date que de 1983 - obtint son troisième macaron Michelin, graal gastronomique aujourd'hui parfois décrié mais toujours aussi jalousement convoité. Et à ses côtés, ce chef historique a fait éclore de très grands chefs dont la cuisine est inévitablement teintée de la patte du maître.
On reconnaîtra ainsi sur la photo de l'ensemble de la brigade prise au domaine, les enfants d'une famille unie par la passion de la belle cuisine, souriants car de retour auprès de leur père spirituel, au commencement de leur histoire : Alain Passart (trois macarons à l'Arpège, à Paris), Vincent Thierry (trois macarons au Caprice à Hong-Kong, Chine), Philippe Labbé (encore récemment deux macarons à l'Abeille, Paris) et Philippe Mille (actuel chef des cuisines des Crayères, auréolé de deux macarons). treize macarons Michelin réunis pour un repas nécessairement hors du commun.

Thème de ce déjeuner : Traditions françaises. Et un repas à 12 mains, chacun des chefs ainsi que le pâtissier maison ayant eu la tâche de créer ou de faire revivre un plat auquel serait associé une grande cuvée de champagne.


Pour commencer donc, des "langoustines royales en habit vert, beurre de champagne au caviar osciètre impérial" par Philippe Labbé. Fraîchement parti des cuisines de l'Abeille au Shangri-La à Paris, le chef montre une fois encore ici l'étendue de son talent avec un plat magnifiquement harmonieux. La chair ferme et délicate des langoustines s'associe parfaitement à la sauce légèrement acidulée. Le végétal apporte une dose de fondant supplémentaire et le tout est emporté dans une finale élégamment iodée. Une entrée en matière de très haut vol. 
Le champagne choisi était la cuvée brut nature 2006 de chez Roederer dont Stark a signé l'étiquette. Un choix judicieux au vu de l'ampleur de cette cuvée qui avait suffisamment de répondant sur ce plat fin mais puissant. 

Crayères Gardinier traditions vincent thierry

Le second plat était quant à lui un passeport vers autre monde, quelque part dans les nues de la gastronomie. Les saveurs se firent plus incisives avec cette "lasagne de homard breton, contrepoint de girolles et noix de ris de eau, mouillée d'une bisque légère". Certainement l'un des deux plats hors catégorie de ce déjeuner. Homard et girolles se liaient délicieusement dans cette bisque toute automnale, concentrée juste ce qu'il fallait, les ris de veau apportant une mâche complémentaire et jouant l'association "terre" du plat dans une imparable finesse. L'émotion monta avec ce très grand plat signé Vincent Thierry dont l'éloignement hong-kongais n'aura a l'évidence fait qu'accentuer son amour pour les beaux produits ici magnifiés.
Quant au vin, un Billecart-Salmon 2004 blanc de blancs, il mettait un joli gras au service du plat qui venait l'enrober subtilement. Grand accord !

Crayères Gardinier traditions philippe mille

 Philippe Mille a certainement le plat le plus original tout en y mettant un certain nombre de clins d'œil, chef résident des Crayères oblige. Tout d'abord, par les associations de goûts et de textures ici proposées. La cuisse de grenouille franchouillarde tenait ici la dragée haute à l'aristocrate truffe blanche transalpine. Mais ce furent aussi les quelques pommes soufflées, héritières de la plus belle tradition française, remises ici au goût du jour. Leur évanescence en bouche n'avait d'égal que la volupté de la blanquette de cèpes, véritable ossature du plat... et peut-être le seul bémol. Servie généreusement au fond de l 'assiette, elle s'avérait malheureusement quelque peu écœurante en fin de dégustation. Et le champagne servi en accompagnement ? Une belle surprise : un Charles Heidsick 1995 Blanc des Millénaires qui dévoilait toute son élégance ce qui en fit un très bon compagnon des arômes subtils du plat. 

Crayères Gardinier traditions passard turbot exceptionnel

 Lorsque l'on intitule un déjeuner "traditions françaises", on se doit de multiplier les symboles. Après le homard breton et les pommes soufflées, place fut faite à un magnifique turbot de plus de quatre kilos à la peau nacrée et merveilleusement dorée. Un prélude contemplatif ... réussissant le tour de force de nous faire saliver avec les yeux !

Crayères Gardinier traditions passard turbot

 Une découpe en salle plus tard, la pièce de turbot se retrouvait associée à une "béarnaise au vin jaune" et à un "gratin dauphinois au céleri rave". La surprise vint évidemment du céleri-rave bien confit dont la pointe terreuse acidulée fut un ravissement pour les papilles. Un enthousiasme peut-être moindre pour le poisson qui, bien que parfaitement cuit, ne trouvait pas dans la sauce un contrepoint digne de sa noblesse. L'idée était osée, parfaitement exécutée, mais le résultat ne parvint pas à offrir la même dose d'émotion que certains des plats précédents. Pour autant, Alain Passard a proposé une option radicale dont chacune des saveurs a trouvé un écho parfait avec le Dom Pérignon P2 Plénitude Deuxième Blanc 1998. La Champagne dans ce qu'elle a de superlatif : extrêmement complexe, d'une finesse diabolique. Un champagne enivrant à la persistance phénoménale. Et curieusement, pour la première fois dans le repas, c'est le champagne qui donnait envie de revenir au plat. Par chance, car la seconde impression était tout autre. Les réticences initialement perçues sont tombées par la magie de l'accord met-vin ici réalisé.

Crayères Gardinier traditions passard boyer pigeon foie gras

 Les quatre élèves s'étant exprimés, ne restait plus qu'à voir Le Chef entrer en scène. Dans un plat qui fut l'une de ses signatures, Gérard Boyer est parvenu à tout synthétiser : la haute cuisine française telle qu'elle a conquis le monde avec ses produits sublimes, ses feuilletages aériens, ses sauces uniques. Tout cela est beau, graphique, ce qui n'est pas un vain mot dans le monde designo-culinaire dans lequel nous évoluons. Et le résultat dépasse les espérances. Ce "feuilleté de pigeonneau au foie gras, émincé de choux, jus au fumet de truffes" s'est dévoilé tel un trésor. A peine la lame du couteau avait-elle pénétré cette gangue dorée que des effluves délicieux s'offrirent dans un tourbillon d'arômes. Tout était ici d'une légèreté insoupçonnable. La tendreté du pigeon répondait à la souplesse du foie gras; la sauce concentrée et truffée apportant le nécessaire coup de fouet vivifiant l'ensemble. Une claque magistrale pour moi, amoureux d'une certaine cuisine moderne et créative qui peine toutefois parfois à provoquer de grandes émotions. Et puis, une "grande année" 2004 de Bollinger qui jouait une partition écrite pour le plat, portée par cette fine oxydation caractéristique.

La magie d'un tel repas ne saurait être totalement dévoilée. Place à l'imaginaire donc pour les deux derniers services Point de photo mais une simple description, brève.

Le brie était ainsi "farci de fruits secs à la fève de tonka". Ou comment marier un crémeux tout francilien à des nuances d'Ailleurs. Le tout associé à un champagne au répondant idoine : un Nec Plus Ultra 1999 de Bruno Paillard.

Enfin, en apothéose, un "soufflé chaud praliné fruité, crème glacé au café torréfié". Une belle gourmandise signée Arthur Fèvre. Une douceur associée à un champagne Lanson 1990 vintage collection servi en magnum. Certainement l'accord le plus difficile à composer et qui, bien que tirant son épingle du jeu, ne parvenait pas réellement à convaincre. Ah, le sucre ! Si piégeur à l'égard des vins qui n'en sont pas assez dotés. Une fois encore, le dessert prenait ici le dessus sur le vin dont on ne pouvait que regretter de n'avoir pu le goûter seul tant il se montrait encore d'une insolente jeunesse.

Tous les nectars servis au cours de ce déjeuner furent tout bonnement exceptionnels. Les frères Gardinier sont viscéralement attachés à la tradition, aux traditions françaises. Quel plus bel hommage donc que cette ode à la gastronomie et au vin ? Celle-ci rappelle aux détracteurs d'une cuisine qui aurait raté le virage de la modernité que la cuisine française sait, encore et toujours, nous émouvoir et nous offrir, sans intellectualisation superflue, le plaisir du bon.