jeudi 25 juillet 2013
Let's Tokaji !
La
région tient son nom de la ville éponyme, bourgade tranquille articulée autour
d’une grande rue sans grand intérêt ni charme particulier.
De
toute façon, les trésors de la région se situent dans les caves, parfois bien
protégés derrière de lourdes grilles de fer. Les reflets orangés ne trompent
pas : il s’agit bien du paradis, renfermant les vieux millésimes de Tokaj
Aszu (ici dans l’une des dernières structures d’état de la région : Tokaj
Kereskedohaz Co.).
Difficile
de résister en croisant ces merveilles dans le dédale de couloirs des caves de
Tokaji…
Les paysages
viticoles de la région sont vallonnés, notamment tout autour du mont Tokaji. C’est
là que se trouvent les vignes du domaine Disznoko, propriété de l’assureur AXA
depuis 1992. Ce grand domaine (plus de 160 hectares en propre) produit selon
les années 250 000 à 300 000 bouteilles.
La
visite de Disznoko s’est avérée très intéressante, notamment au moment de la
dégustation. Le responsable du domaine nous a en effet permis de goûter huit
cuvées différentes de la gamme, allant de vins secs (à base de Furmint et de
Harslevelu) au nectar suprême : l’eszencia.
Si la
région de Tokaji est capable de grands vins secs (comme le magnifique Furmint
sec du domaine Dobogo), la région reste avant tout célèbre mondialement pour
ses vins liquoreux. Ceux-ci présentent des niveaux de sucres résiduels plus ou
moins élevés. C’est cela qui va déterminer le nombre de «puttonyos » de la
cuvée.
La réglementation va de 3 puttonyos pour des vins qui doivent contenir
un minimum de 60 grammes de sucres résiduels à 6 puttonyos (minimum de 150 grammes
de sucres). Au-delà, les vins portant la mention « aszu eszencia » doivent
atteindre au moins 180 grammes de sucres résiduels.
L’eszencia est une
catégorie à part. Il s’agit du jus provenant des raisins botrytisés placés en
cuve et écrasés par leur propre poids. Ce nectar contient souvent près de 600
gammes de sucres avant fermentation. Compte tenu de ces niveaux extrêmement
élevé, la fermentation est très difficile. Au final, l’eszencia ne titre jamais
plus de 4,5%. C’est très riche, mais une grosse acidité permet de rendre ce breuvage
agréable. Impossible toutefois d’en boire un verre entier !
Au-delà
de ses cuvées classiques, le domaine a innové il y a quelques années en
proposant une cuvée parcellaire. Ce vin, le Kapi, est issu de la meilleure
parcelle du domaine. Produit uniquement sur les meilleurs millésimes, il
affiche 6 puttonyos.
Le millésime 2005 dégusté au domaine présentait une
très belle acidité apportant à l’ensemble une grande fraîcheur. Le nez s’avère
très complexe, offrant tout une palette d’arômes de fruits secs. La bouche est,
elle aussi, très intéressante, oscillant entre les arômes de marmelade d’orange,
de coing, de figue et d’épices. La longueur est phénoménale. C’est un très
grand vin liquoreux !
Et
pour finir, la dégustation de l’eszencia. Un nectar (on n’ose plus parler de
vin à ces niveaux de sucre et de concentration) hors normes, au nez fabuleux et
à la bouche impressionnante. Une simple gorgée dure de longues minutes. Ce
serait parfait à utiliser dans de la cuisine… si le prix de cette rareté n’était
pas exorbitant !
Mon
verre d’eszencia. Sa robe en dit long sur sa complexité.
Ici,
une flasque d’un autre eszencia goûtée au domaine Dobogo à Tokaji. Si je trouve
le contenant splendide (il permet de se rendre parfaitement compte du côté
sirupeux et épais), la dégustation en tant que telle ne restera pas dans les
annales (bon mais sans être impressionnant).
Et
enfin, le summum de nos pérégrinations hongroises : le domaine Oremus dans
la région de Tokaji. Ce domaine appartient à Pedro Alvarez, propriétaire du célébrissime
Vega Sicilia en Espagne (Ribera del Duero). A l’image du bâtiment principal
abritant les chais, les moyens financiers engagés sont considérables. Mais les
résultats sont là – extraordinaires !
Difficile
de ne pas rêver en déambulant dans le domaine. Les précieuses bouteilles sont à
portée de bouche…
Et
comme d’habitude, l’or du domaine : les bonbonnes d’eszencia. Le jus est
tellement épais qu’il paraît noir.
Les caves
du domaine réservent quelques surprises. Ces bouteilles de Tokaji Aszu de 1957 recouvertes
de moisissures ont un petit air de poule, non ?
Le
charme d’une cave tient parfois à peu de choses… de belles moisissures et
soudain l’ambiance change. Lorsque tout est récent, il n’y a pas vraiment
d’âme.
Alors
que quelques mètres plus loin, les nuances de couleurs ajoutent une touche de magie
au lieu. Un moment de vrai bonheur.
Il
règne quelque chose de christique dans les caveaux de dégustation de Toaji. Ce
n’est pas la cène mais on n’en est pas loin !
Cette
dégustation nous a permis de découvrir de très grands vins liquoreux. La
qualité était encore supérieure à celle de Disznoko, avec en fil rouge un très
bel équilibre sur les différentes cuvées. Mais c’est sans nul doute la
bouteille de Tokaji Aszu 5 puttonyos 2000
qui m’a le plus marqué. Un nez citronné associé (entre autres) à des touches d’abricot
sec. En bouche, l’équilibre entre acidité, sucres et alcool se révèle parfait.
L’impression de fraîcheur est très agréable. Les arômes sont très complexes
avec notamment de la marmelade d’orange très pure. La finale, très longue, présente
une jolie amertume. Un vin à boire au moins une fois !
mercredi 24 juillet 2013
Poursuite de la découverte des domaines viticoles autrichiens
Si la
plupart des domaines visités en Autriche nous ont proposé des vins de qualité
très moyenne, certains ont retenu mon attention pour la qualité de leur
production.
Le
domaine possède des terroirs très qualitatifs, comme cette colline, le premier
cru Kellerberg qui produit un très beau riesling complexe.
Comme
souvent, la quantité de moisissures témoigne de l’âge des caves. Et parfois
comme ici, celles-ci forment des tableaux abstraits des plus surprenants…
L’Autriche est connue par certaines de ses pépites parmi
lesquelles l’Ausbruch de Rust, vin liquoreux (dont la densité du moût minimale
le positionne réglementairement entre un beerenauslese et un trockenbeerenauslese).
Quel bonheur de pouvoir ainsi découvrir ce nectar dans un domaine qui produit
en outre de nombreuses cuvées très qualitatives : le domaine
Feiler-Artinger à Rust.
Cette cité viticole vaut largement un détour tant ses
vieilles maisons sont charmantes. Derrière les immenses porches, on découvre
ainsi de grandes cours abritant des demeures blanchies où fleurissent des
lauriers roses, où sèchent des grappes de maïs et où viennent se reposer des
cigognes. Enchanteur !
Etre
bien reçu dans un domaine… 12 cuvées ouvertes par un vigneron passionné et
passionnant : Feiler-Artinger. D’autant
que le niveau de qualité est impressionnant au regard de certains prix départ
cave pratiqués ici. Quelques belles bouteilles à retenir :
- Gustaf 2011 : assemblage 50% Neuburger et 50% chardonnay. Le premier nez fait penser à du Bourgogne blanc. Il évolue bien vers des notes de noisette mêlées à des notes d’agrumes (citron). La bouche présente quant à elle un certain gras et une bonne acidité. Le tout donne une impression de souplesse et d’équilibre. L’acidité n’est en effet pas trop présente. La finale se fait sur une légère pointe d’amertume qui apporte de la complexité à l’ensemble. Un beau vin.
- Ruster Ausbruch pinot cuvée 2008 : la fermentation de ce vin s’est faite dans 50% de barriques neuves. Le nez présente de très belles notes pétrolées mais aussi des pointes de coing. La bouche, crémeuse et assez ronde, s’oriente vers du biscuit, des fruits jaunes. La finale est légèrement épicée. Un vin surprenant, très typique de la région. A découvrir !
- Ruster Ausbruch chardonnay Essenz 2006 : (assemblage de chardonnay et de welschriesling) ce vin très sirupeux présente un nez très agréable de thé à la menthe avec une légère pointe d’hydrocarbure (surprenante compte tenu du cépage). La bouche montre un bon niveau d’acidité qui permet d’obtenir un bel équilibre en dépit d’un niveau de sucre résiduel très élevé (250 grammes). L’ensemble est très tendre et se termine par une finale sur la figue séchée. Une très belle découverte.
Mais
une région, ce sont aussi de grandes déceptions. Un exemple parmi
d’autres : le domaine Iby à Horitschon. Alors que les premières minutes
dans les vignes avec le vigneron se sont avérées prometteuses (explications sur
la production biodynamique), le personnage nous a ensuite livré un monologue de
plus d’une heure, s’écoutant parler avec beaucoup de suffisance. Et tout cela
pour des vins globalement déséquilibrés, très techniques, sans âme.
Le
meilleur moment de la visite : la découverte du vignoble du domaine Iby et
sa biodiversité.
Dans
la plupart des régions viticoles, certains domaines historiques se sont développés au cours du temps pour devenir des
mastodontes, absorbant d’immenses quantités de raisins via des achats de
raisins toujours plus importants. C’est le cas du domaine Lenz Moser à
Rohrendorf, en Basse Autriche.
Domaine
passionnant à visiter, non pas pour la qualité de ses vins somme toute assez
moyenne (à l’instar de la plupart des producteurs de vins de masse), mais pour
le gigantisme de ses installations. La chaîne d’embouteillage parle
d’elle-même. Il faut imaginer en outre le vacarme des milliers de bouteilles
s’entrechoquant. Impressionnant.
Ce
genre de visites permet notamment de découvrir des mécanismes qui nous étaient
restés jusqu’à lors inconnus. Comme ce flash présent sur la chaîne
d’embouteillage. Celui-ci se déclenche au passage de chacune des bouteilles
vides (qui défilent à grande vitesse) pour détecter tout flacon qui serait
défectueux afin de le mettre au rebut.
Le
gigantisme de ce domaine donne également lieu à des scènes cocasses comme ces
montagnes de palettes qui donnent une idée des volumes traités…
… ou
cet entrepôt de stockage rappelant davantage un gigantesque parking
souterrain !
Au global, l'Autriche est un pays intéressant qui recèle certaines pépites. Les blancs (et notamment les rieslings) peuvent atteindre ici une qualité incroyable... mais comme partout, il faut prendre du temps pour découvrir les vignerons dignes d'intérêt et éviter les productions de masse qui n'apportent finalement pas grand chose de plus que celles que nous avons en France.
mardi 9 juillet 2013
L’esca : fléau pour les vignes du monde entier
Pour ceux qui l'ignoreraient, la vigne européenne (et plus généralement de l'hémisphère nord) est attaquée massivement depuis plusieurs années par un champignon qui fait des ravages : l'esca. Il existe différents symptômes : brunissement des feuilles, nécrose du bois, dessèchement rapide de la plante, etc.. Les conséquences sont désastreuses avec un taux de mortalité des pieds qui peut s'avérer très élevé.
Ce champignon (ou plutôt ces champignons car plusieurs types sont incriminés) s'attaquent aux ceps par des plaies occasionnées notamment lors des travaux de taille. Ici, le point d'entrée de l'esca sur un cep autrichien (présenté par Hans Feiler du domaine Feiler-Artinger à Rust dans le Burgenland).
La coupe du pied permet de constater que le champignon a progressé dans tout le pied provoquant une nécrose du bois. Celle-ci se reconnaît par sa couleur foncée (en comparaison d'un bois sain qui sera de couleur blonde).
Cette vue zoomée permet bien de voir que l'attaque du champignon est partie de la plaie située en haut à gauche, pour se propager ensuite à l'ensemble du pied. Celui-ci est mort, la circulation de la sève ayant été totalement obstruée au bas du pied.
L'esca est un véritable fléau, accentué notamment par le recours au clonage et non à la sélection massale. Dès lors, les vignes présentent des profils génétiques identiques, si bien que lorsque l'une d'elles est touchée, l'ensemble du vignoble est rapidement contaminé.
Des solutions de bon sens sont mises en oeuvre. De nombreux vignerons réorientent ainsi leur système de taille afin de limiter les plaies infligées à la vigne et donc les points d'entrée de la maladie. Encore faut-il que cette prise de conscience soit générale car les dégâts sont d'ores et déjà immenses, certains parlant même d'un fléau comparable au phylloxéra au XIXème siècle. Il y a urgence. Sans réaction appropriée, de nombreux vignobles pourraient être amenés à disparaître dans les prochaines années...
Fred Loimer, un grand vigneron d’Autriche
Le
domaine se situe dans le Burgenland, à l’est de l’Autriche, dans la ville de
Kamptal. Fred Loimer fait partie d’un collectif de plusieurs vignerons qui ont
tous une approche de la viticulture respectueuse de l’environnement.
Une
fois les présentations faites, direction les vignes où Fred nous a présenté son
approche du métier de vigneron et sa démarche de biodynamie initiée en 2006
(utilisation de compost, pas de traitement fongicide chimique mais plutôt des
décoctions, plantation de trèfle entre les rangs de vignes, etc.). Très
pédagogue, il témoigne d’une certaine humilité ce qui rend le personnage
attachant.
Dans le
vignoble, on retrouve une grande biodiversité… à mille lieues des sols
totalement nus de la très grande majorité des vignobles conduits de manière
traditionnelle. Les vignes étaient quant à elles parfaitement entretenues,
témoignant là encore du sérieux de ce domaine. Aucune surprise dès lors de
retrouver ici des vendanges manuelles en cagettes de 30 kilos. Tout ceci est
d’autant plus appréciable que le domaine est déjà d’une certaine taille (70
hectares).
L’ensemble
du domaine s’avère très moderne. Le bâtiment principal, enterré, est construit
en béton qui donne cet aspect brut. A l’intérieur, hygiène parfaite, à l’image
de la cuverie.
La
cuverie… vue sous un autre angle.
La
modernité du bâtiment doit aussi beaucoup à une mise en scène très design. Cela
participe à l’atmosphère particulière ressentie sur le domaine. Ici la cage
d’escalier menant à la cuverie.
Un
autre exemple. Une simple indication sur le mur mais une certaine recherche
(avec un coup de cœur pour l’espèce de batracien au milieu que l’on retrouve un
peu partout dans le domaine).
L’un
des espaces extérieurs et toujours cette approche minimaliste du design.
Et
parfois, une simple touche de couleur dans les caves permet de modifier
l’atmosphère et de la rendre légèrement plus chaleureuse.
Une très belle dégustation proposée et commentée par Fred Loimer. Si les grüner veltliner (cépage autochtone autrichien) étaient de très bonne facture, mes coups de cœur se sont portés sur les riesling du domaine, tout simplement splendides :
- Riesling Langenlois terrassen 2011 : nez très précis sur les fruits jaunes, les fleurs mais également des touches d’agrumes (citron vert, pamplemousse) et de subtiles notes pétrolées. La bouche présentait une belle ampleur et un bel équilibre, l’acidité bien présente venant apporter de la fraîcheur à l’ensemble. Les notes pétrolées se sont révélées très fines en bouche. Belle longueur. Un très beau vin.
- Riesling Seeberg 1er cru 2011 : nez très aromatique ne présentant pas cette fois-ci de notes pétrolées mais une légère touche de poivre. Bouche très complexe. Une très jolie amertume en fin de bouche venait apporter un surplus de complexité à ce vin à la belle ampleur et à l’équilibre souverain. Vin magnifique (j’en ai désormais une bouteille en cave !).
Reste une très belle surprise présentée par Fred en fin de dégustation :
- un Grüner veltliner langenloiser spiegel 1994. Vin très impressionnant. Un grüner veltliner présentant une très belle complexité. Le nez était clairement sur des arômes fumés avec une pointe iodée. Une bouche parfaitement équilibrée, avec là encore une belle acidité qui tient le vin du milieu à la fin de bouche. Le vin affichait ainsi une fraîcheur surprenante après 20 ans de bouteille ! Et quelle longueur ! Un vin passionnant, notamment pour les accords mets-vins nouveaux qu’il permettrait.
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